Il avait débarqué, comme ça, sans réfléchir, poussé par la peur et l'inquiétude. Et par son exaltation désordonnée, par sa bipolarité obstinée, cela faisait deux jours qu'il ne réfléchissait plus très bien. Deux jours qu'il se tuait au travail, qu'il courait partout. Et Kyr partageait cette excitation intense. Le flot de pensées brisées et fracassées comme des vagues à peines formées qui serpentaient entre leurs neurones leur était supportable. Dans quelques jours il retomberait dans cette indifférence plate. Il en enrageait d'avance. Cet état maniaque était presque agréable. Tout était flouté par ce bonheur vague, presque orgasmique, factice, il devenait aveugle et sourd. Il aurait pu se crever les yeux que ça l'aurait exalté, plus que n'importe quelle paire de fesses au monde, plus que n'importe quel vice de l'univers. Milosz était faux. Et il s'en rendait compte.

Il avait débarqué, parce que sa soeur ne pouvait que l'adorer quand il était heureux et sobre. Tout en lui braillait l'intensité fébrile. Certes, il y avait ce petit doute, tout au fond de ses tripes, terrassé, par cet excès de confiance en soi.  Un petit doute grandissant. Et refoulé par un tsunami de bonheur désordonné. C'était comme une course à haute vitesse; il était incapable de s'arrêter.

Et il était là, au Lancovit. On pouvait dire ce qu'on voulait, Travia correspondait bien plus à son humeur qu'Omois. Tout y était si coloré, si rose bonbon, on avait l'impression d'évoluer dans une bulle de chewing-gum sous extasy. P'têtre que la princesse D'aavil était une grande droguée, en fait. Il était près du dortoir de sa soeur, et posa une main sur l'épaule de la première gamine ressemblant à Aveza; heureusement, c'était elle. Aveza, regarde, je suis heureux ! balança t-il de son ton badin, cynique, insupportable.