Pourquoi était-elle venue, déjà ? Aucune idée. Peut-être parce qu'elle était censée être une célébrité participant à tous les événements les plus ennuyeux et ayant pour participants d'arrogants personnages. Bon, d'accord, il est vrai que Victoria se montrait parfois un peu arrogante, mais la célébrité montait à la tête, c'était connu et malgré ses activités clandestines, la jeune femme n'était pas contre cette vie pleine de richesses. Seulement il y avait un problème : les cristallites.
Des plaies. Pires que des enfants, avec leurs stylos et calepins volants, les scoops les suivant partout. Il posaient toujours ces questions indiscrètes et qui avaient le don de vous mettre dans l'embarras et semblaient toujours vouloir percer sous le masque que Victoria avait pris soin de se faire.
Alors oui, elle avait la phobie des cristallistes, mais elle n'était sûrement pas la seule, parmi ces presque 300 personnes. Elle savait lire entre les lignes, et les sourires de certains ne montaient pas jusqu'aux yeux.

Pour se changer les idées, elle chercha du regard sa proie du moment, un certain Aaron. Absolument délicieux, au passage. Seulement elle ne s'était pas habillée ainsi pour lui mais pour elle (je vous assure, ce n'est pas si rare !).
Sa robe bustier, toute de satin prune, lui arrivait jusqu'au dessus des genoux et laissait voir ses longues jambes. Elle avait relevé sa longue chevelure et s'était peu maquillée (elle n'avait jamais aimé se peindre le visage, si vous voyez ce que je veux dire). Simplement un peu de noir pour faire ressortir ses yeux de biche et du rose aux lèvres. Ses escarpins étaient pour une fois d'une hauteur modérée, simples et noirs. Elle n'avait par contre pas lésiné sur le parfum et un nuage de lilas la suivait partout au elle allait.

Elle soupira tout en finissant son verre de champagne terrien d'une traite. Elle le déposa sur un plateau qui flottait près d'elle et regarda autour d'elle. Dieu, qu'il y avait du monde ! Franchement, ces Omoisiens ne faisaient pas dans la dentelle. Presque 300 personnes dans un jardin à discuter des sujets les plus ennuyeux et une personne qui n'avait rien à faire là, à part glaner quelques informations au passage.
C'est alors qu'elle vit une de ses anciennes conquêtes qu'elle avait laissée en plan lors de leur dernière entrevue et elle se retourna lentement pour ne pas qu'il vît son visage, mais il l'interpellait déjà. Slurk ! Pourquoi cet horrible personnage ne voulait-il pas la laisser tranquille ?
Prise d'une soudaine envie de prendre ses jambes à son cou (croyez-moi, avec une odeur pareille, cet homme faisait fuir toutes ces dames) et se mit à fendre la foule, écrasant au passage quelques pieds. Elle ne prit pas la peine de s'excuser. Tout en continuant d'avancer, elle se retourna pour guetter son poursuivant et butta violemment dans quelqu'un.

Son ancien amant oublié, elle leva légèrement la tête pour croiser le regard surpris d'un vampyr des plus séduisants et baissa les yeux vers la tâche de champagne sur la tenue, un gloussement montant lentement dans sa gorge. Elle se retint de rire toutefois ses yeux pétillaient d'humour.
« Oh ! Je suis tellement désolée, monsieur... » Elle se mordit la lèvre inférieure, incapable de réprimer son sourire et fouilla dans le petit sac qu'elle avait à la main pour sortir un mouchoir et s'empressa d'essuyer la boisson sur la tenue du vampyr. « Vraiment, je vous demande pardon, je suis si maladroite... » Mais, slurk, pourquoi avait-elle tant envie de rire ?

Oh lala ! Qu'est-ce qu'elle avait envie de rire ! C'était certainement dû au trop plein de stress qui évacuait, pour ainsi dire. Elle tentait en vain de garder son sérieux, et Dieu seul sait à quel point Victoria pouvait être douée pour jouer la comédie. Seulement voilà, elle sentait toujours ce gloussement au fond de sa gorge, qui remontait lentement et qui persistait. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu envie de rire, je veux dire pour de vrai. Quelques sourires par là, mais rarement autre chose. Cela faisait du bien de sentir qu'elle était encore capable de se comporter de façon sincère et honnête, après tous les mensonges et les faux-semblants.
« Oh, ce n’est pas grave, cela arrive à tout le monde Mademoiselle. Je me présente, je suis Maxxim Slaade, Leader du Mouvement Du Changement en Krasalvie. »
Victoria se retint de se pincer les lèvres. Un politicien ! Pourquoi n'était-elle pas étonnée ? Après tout, il n'y avait que cela dans la salle, et elle faisait partie des rares exceptions qui confirmaient la règle. La politique l'ennuyait profondément, et chaque fois qu'elle en entendait parler, elle avait envie de crier. Elle se demandait comment on pouvait apprécier une telle pratique.
Mais les motivations du vampyr étaient un peu plus nobles, il fallait l'avouer. Elle avait entendu parler de ce "mouvement". Des vampyrs BSH qui tentaient de s'intégrer, qui ne voulaient plus être traqués par la Brigade Noire. La jeune femme ne savait que penser de telles choses. Elle se disait juste que c'était injuste de tuer des personnes à cause de leur régime alimentaire, bien qu'elle n’eût aucune envie de devenir le repas.

Elle vit du coin de l’œil un écureuil qui mangeait tranquillement une noisette. Ses yeux dorés indiquaient que c'était un Familier, certainement celui du vampyr en face d'elle. Qu'il est mignon, pensa-t-elle avec un demi-sourire.
« Je suis ici parce que l’on doit m’interviewer… Mais je redoute les questions que ces cristallistes vicieux pourraient poser… Si je puis me permettre, à qui ai-je l’honneur Mademoiselle ? » Victoria lui offrit son plus beau sourire, celui qui avait le don d'illuminer toute une pièce, pourtant elle ne cherchait pas à le séduire. Il la troublait bien trop pour ça. Elle était persuadée qu'il allait se mettre très en colère, elle avait même vu cette expression sur son visage, mais il semblait que la colère avait disparu, ce qui n'était pas pour déplaire à la jeune femme.

« Je m'appelle Victoria Staveney, enchantée de vous connaître. » Encore ces fichues règles de politesse ! Victoria était tellement habituée à les suivre que même sans le vouloir elle agissait de même. Elle ajouta : « Ah, ces vipères de cristallistes ! J'ai passé les vingt dernière minutes à les éviter, eux et... une personne de ma connaissance. » D'ailleurs, où était donc passé cet énergumène ? Elle espérait qu'il ne serait pas assez sot pour s'interposer entre elle et ce Maxxim, la conversation était bien trop divertissante. Elle tendit la main à ce dernier, en bonne jeune femme très très polie.

Bon, au moins, son envie de rire était passée. Elle voyait le vampyr hésiter alors qu'elle tendait toujours la main. Elle se demanda ce qui n'allait pas, s'il était toujours en colère après sa petite gaffe, et allait baisser le bras quand il leva le sien pour lui serrer fermement la main.
A ce moment, Victoria entrouvrit la bouche, sa poitrine se souleva et elle frissonna. Le contact était glacial mais pas désagréable. Elle n'aurait su dire si elle frissonna uniquement à cause du froid, et elle n'aurait pas non plus su vous affirmer avec certitude que c'est la froideur de sa peau qui la fit retirer sa main plus vite, et pas cette électricité.
Dans tous les cas, Victoria était troublée, et quelque part, cela l'irritait beaucoup. Elle détestait ignorer quelque chose qu'elle aurait voulu, qu'elle aurait dû savoir. C'était frustrant.

Et en plus, en tant que sortcelier, il n'aurait aucun problème à régler le problème de son précieux costume. Du moins, elle le pensait. N'était-ce pas cela, la magie ? Enlever, en un clin d’œil, une pauvre tâche de champagne et faire comme si de rien n'était ? Elle se surprit à regretter son ignorance de la magie, elle qui s'était jurée de ne pas y faire attention ni même d'envier tous ces sortceliers. Pourtant, elle avait déjà trahi sa promesse et s'en était à peine rendu compte.
Ah ! Oui, c'était très frustrant.

Elle se retint de se masser la main histoire de vérifier qu'elle était toujours là, et réprima son envie de frictionner ses bras couverts de chair de poule. Elle savait que son trouble était visible et elle tenta une diversion : « Eh bien, les contacts sont rafraîchissants, avec vous ! On est sûr de ne pas avoir chaud. » Et elle évacua le stress en un gloussement presque enfantin. Elle plaça sa main devant sa bouche, et pour la première fois en très longtemps elle ne savait pas quoi faire.
Elle avait la sensation que ce trouble en la présence du vampyr n'allait pas disparaître de si tôt, et elle regretta de lui avoir serré la main. Au diable la politesse !

Elle se rendit compte qu'elle avait dit n'importe quoi, et que ses paroles pouvaient être blessantes envers le vampyr. Elle perdit son sourire et rougit vraiment de façon certes charmante, là, parce qu'elle avait dit quelque chose de stupide à une personne qui n'avait rien fait pour mériter cela, et parce qu'elle ne parvenait pas à définir ce qui la tracassait. Tout cela pour une poignée de main !
Décidément, cette soirée était très bizarre. Certainement à la hauteur de ses convives.

Il fut surpris, désorienté, et un instant il eut l'air de ne plus savoir quoi dire. Victoria s'impatienta, se disant que le supplice n'allait certainement pas durer aussi longtemps que le vampyr mettrait à reprendre ses esprits et à se décider. Elle finirait bien par revenir à la raison et prendrait certainement ses jambes à son cou.
Il lui demanda pourquoi. Pourquoi ? Franchement, avait-elle le choix ? Elle ne voulait vraiment pas provoquer un incident diplomatique, et ce bien qu'elle fût sangrave. Elle n'apprécierait certainement pas que le vampyr s'attaque aux invités, aussi ennuyeux fussent-ils.
Alors, les questions de ce genre, il pouvait se les garder.

Il est vrai qu'en tant que sangrave, elle aurait dû se réjouir de l'incident qui avait failli se dérouler. Cela aurait semé le désordre et la discorde entre les deux nations et aurait offert une énième occasion aux sangraves de planter le couteau un peu plus profondément. Seulement elle n'aimait ni le sang, ni les carnages, et de toute façon ses "collègues" n'en sauraient rien. Elle était prête à donner son sang pour éviter à ce vampyr de voir tous ses efforts réduits à néants.
En même temps, Maxxim aurait tout de même pu prévoir ce genre de désagrément, non ? Il aurait pu se nourrir avant d'aller à cette stupide soirée, pour ne pas qu'elle en vienne à devenir stupide à son tour et à trancher son stupide poignet avec son stupide couteau, dans un stupide couloir sombre et désert, à la merci d'un vampyr, affamé qui plus est.

Toutes es pensées ne mirent qu'une demi-secondes à traverser son esprit en tourbillonnant follement, juste le temps que la peur laisse momentanément place à la colère, et qu'elle se mette à siffler : « Pourquoi ? Vous auriez peut-être préféré que je vous laisse en plan avec votre faim, histoire d'assister en direct à l'attaque d'un vampyr BSH sur des politiciens ennuyeux à mourir mais innocents ? Vous voulez peut-être gâcher les efforts que vous avez fourni pour tenter de faire accepter votre régime alimentaire à vos amis à crocs ? Je n'en ai aucune en vie, croyez-moi. Nourrir un vampyr n'était pas sur ma liste aujourd'hui, et j'essaie d'éviter la catastrophe alors décidez-vous et buvez ! »
Et pour appuyer ses paroles, elle tendit son poignet tremblant au vampyr qui était tombé à genoux. Non mais, elle lui en posait à lui, des questions idiotes ? Elle était maintenant paralysée par la simple peur de l'attente. L'attente. Elle attendait bien gentiment qu'un buveur de sang s'abreuve à son poignet !
Elle était aussi folle que ces Autre-Mondiens.

Lorsqu'il lui tendit le bras, elle hésita un instant puis haussant intérieurement les épaules, elle le prit. Heureusement, la peau glaciale du vampyr était recouverte par son costume - tout propre - et Victoria était donc tranquille.
Mais elle ne manqua pas de remarquer un trouble soudain chez le politicien, et elle sentit son bras se raidir légèrement contre le sien. Elle fronça les sourcils et le regarda comme si de rien n'était. Il déglutit plus ou moins avec difficulté, mais elle ne put voir ses yeux, jusqu'à ce qu'il se tourne vers elle :
« Que puis-je vous offrir à boire ? J’ai plein de questions à vous poser. D’où venez-vous ? Quel est votre métier ? Pourquoi n’avez-vous pas peur de moi ? »

Ses pupilles étaient légèrement dilatées, et elle aurait juré que ses yeux n'étaient pas de cette couleur auparavant. Bien sûr, elle se doutait que cela avait un rapport avec sa nature de vampyr, mais elle ne chercha pas à aller plus loin, sinon elle risquait de le regretter.
Elle eut beau tenter de l'ignorer, elle n'avait aucune envie de mentir au vampyr. Quel était son métier ? C'en était un, sangrave ? Pourquoi n'avait-elle pas peur de lui ? Parce qu'elle plus d'un tour dans son sac et qu'elle n'était pas défense - ou plutôt parce qu'elle lui faisait naturellement confiance. Cette prise de conscience, le fait qu'elle aurait dû effectivement avoir peur de ce vampyr - BSH de surcroît - ironiquement, l'effrayait.

Elle se décida finalement à répondre aux questions faciles : « Je prendrais bien encore un peu de champagne terrien, je vous remercie. Je viens justement de la Terre, mais je n'y suis restée que quelques mois avant de partir avec mon père pour Autre-Monde. » Elle ajouta, afin qu'il ne puisse réitérer les questions gênantes : « Et vous, que prendrez-vous à boire ? »
C'était la tactique idéale : éviter le sujet et poser une question ensuite pour le détourner encore plus. Ainsi, la personne était trop occupée à discourir sur sa petite vie trépidante - du moins l'espérait-elle - plutôt que de remarquer son embarras. Néanmoins, Victoria se doutait que le vampyr n'était pas bête et qu'elle n'échapperait pas non plus à beaucoup d'autres questions, comme il le lui avait dit.

Généralement, mentir était facile pour la jeune femme, qui essayait de ne voir que les points positifs : elle se protégeait elle ainsi que ses "collègues", bien qu'elle n'eût en fait aucune sympathie envers ces derniers.
Mais cette fois-ci, duper quelqu'un lui semblait si pénible, si désagréable et malhonnête qu'elle se dit qu'elle devrait probablement éviter la compagnie du politicien. Elle se demanda vaguement s'il n'exerçait pas son Charisme sur elle, mais cela l'aurait beaucoup étonnée. Elle savait de source sûre - sa tante Lyra - que les vampyrs, lorsqu'ils utilisaient leur fameux pouvoir - très déloyal, au passage -, ce n'était pas du tout discret, on avait l'impression que le vampyr illuminait la salle, au sens propre puisqu'il faisait croire qu'il rayonnait.
Du moins, c'était ce qu'elle avait compris des explications de sa chère tante.

A nouveau ce bras qui se raidissait, ces narines qui se dilataient. Victoria n'aimait pas lorsqu'elle ne comprenait pas quelque chose, et là elle ne comprenait plus rien. L'ignorance était, d'après la jeune femme, une faiblesse. Si l'on n'y prenait pas garde, on risquait de se faire avoir, et Victoria avait la désagréable impression de manquer quelque chose,.
Comme s'il avait lu dans ses pensées, le vampyr lui épargna plus de tortures dans son esprit en ébullition : « Avec vous à mes côtés, j’éviterai de reprendre du champagne terrien. Je vais prendre un bon rhum terrien. Ou peut-être du sang de vache, si le barman en a. »
Lorsqu'il avait fait une allusion au champagne, Victoria s'était retenue de protester, car elle savait que ce n'était qu'une plaisanterie et qu'avec ce qu'elle avait dit plus tôt, il valait mieux qu'elle se tût.

Puis elle comprit enfin. Le vampyr voulait du sang. Il avait faim.
Elle déglutit, légèrement perturbée par cette révélation. Le BSH à son bras avait faim. Un Buveur de Sang Humain. Ce qui expliquait son changement d'attitude, et ses yeux qui devenaient rouges au fur et à mesure que le temps passait, et donc que la faim se faisait sentir. C'était curieux, et un instant Victoria se demanda ce que cela faisait, tentant de s'imaginer la sensation. Peut-être était-ce similaire à la faim que ressentaient les humains ? Peut-être.
Dans tous les cas, Victoria sentait que cette soirée n'avait plus rien d'ennuyeux. Curieusement, cela la réjouissait, bien qu'elle ressentît une légère pointe d'appréhension. Elle s'interdit d'avoir de quelconques préjugés, mais il n'est pas facile de déroger à ses habitudes, n'est-ce pas ?

« Enfin, si cela ne vous pose pas problème, je connais des gens qui fuiraient en me voyant boire du sang. Ce n’est pas encore très bien accepté ici, même si en Krasalvie cela commence à être normalisé… » Victoria sursauta, brusquement sortie de ses pensées. Si cela la dérangeait ? Eh bien, la jeune femme avait l'estomac bien accroché malgré son imagination un peu trop entreprenante et elle avait déjà vu pire.
Elle fit donc, un sourire rassurant aux lèvres : « Je ne suis pas en sucre, ne vous inquiétez pas. Je n'ai qu'à me dire que ce n'est qu'un bon de bon vin rouge et tant que je ne suis pas le repas, cela ne me pose aucun problème. » Elle avait parlé d'u ton calme et avec une pointe de douceur, histoire de compenser un peu ses derniers mots, qui auraient pu être blessants.
Mais sa nervosité était visible, et Victoria avait beaucoup de mal à la cacher. Ses talents d’actrice n'étaient pas au rendez-vous, apparemment. Mais c'était ce vampyr qui la mettait sur les nerfs, surtout depuis qu'elle avait compris qu'il avait faim. Si elle avait été habituée à ce genre de situation, elle aurait certainement réagi autrement, mais là, c'était une première.

Pas du tout vexé par ses paroles, le vampyr demanda donc au serveur s'il avait ce fameux liquide rouge dont je ne citerai pas le nom. Dès qu'il fut servi, il but le tout d'une traite.
La tension était palpable. Victoria l'observait avec anxiété, ne sachant que faire. Du sang d'animal pouvait-il apaiser un BSH ? Ou bien fallait-il auparavant le sevrer ? Elle aurait peut-être dû s'informer un peu plus avec Lyra, qui n'était pas avare sur ce genre de sujet. C'était sa curiosité morbide qui aurait dû ressortir à ce moment-là, et non son envie de questionner Lyra sur sa mère.

Quoi qu'il en fût, la jeune femme eut très vite sa réponse. Le sang de vache n'apaisa pas du tout le vampyr, au contraire. Il posa ses yeux désormais totalement rouges dans ceux, presque noirs, de Victoria. Elle sentit son pouls s'accélérer, et là, elle ne sut absolument pas quoi faire. Elle n'allait tout de même pas laisser ce vampyr se débrouiller seul avec ses instincts !
Elle expira brusquement, compta jusqu'à dix, ses yeux toujours rivés dans ceux du politicien, mais aucune solution ne lui venait, du moins aucune qui fût acceptable. Elle pouvait bien donner un peu de son sang mais... cette idée la révoltait, et elle n'était pas vraiment enthousiaste à l'idée de kidnapper un de ces joyeux convives pour en faire le souper du vampyr. Mais elle sentait qu'il peinait à se maîtriser et toujours sans aucune idée de ce qu'elle allait faire, elle prit le bras du vampyr et l'entraîna à sa suite, fendant la foule à toute allure, trop préoccupée par cette folie typique d'Autre-Monde. La Terre était bien fade, à côté.

Elle sentit, alors qu'il marchait vivement vers la sortie, son couteau retenu par une simple lanière de cuir à sa cuisse, caché sous les replis de sa robe. Elle ne voulait pas risquer qu'on la vît avec une arme, première parce que lors de cette soirée c'était interdit, et deuxièmement parce qu'elle ne pouvait compromettre son précieux secret.
N'y avait-il pas un sort permettant de faire apparaître une bouteille de sang ?!
La colère l'envahissait cette fois, et elle se montra encore moins douce envers les personnes qu'elle bourrait pour passer. Elle se sentait vide, vide de toute réflexion, vide de tout sens, parce qu'elle savait qu'elle n'avait pas le choix.

Arrivée dans les couloirs assez peu éclairés qu'elle connaissait comme sa poche, elle se dirigea vers le coin le plus sombre et le moins fréquenté et ne réfléchit pas plus longtemps.
Elle s'arrêta devant le mur qui lui bloquait le passage, se retourna et dégaina son couteau. Heureusement, il était petit et ainsi l'idée de se couper lui paraissait moins effrayante. Elle leva le poignet, compta jusqu'à trois, sachant qu'elle ne pourrait revenir en arrière, et trancha la peau pâle et fine.
Elle avait la gorge trop nouée pour parler, et elle resta ainsi, de peur de se remettre à réfléchir et de vouloir partir en courant. La douleur ne l'avait même pas fait broncher, tant pas sa préoccupation principale que par son endurance. Elle tremblait de tout son corps.

Elle haïssait ce monde de fous.

Il fut surpris, désorienté, et un instant il eut l'air de ne plus savoir quoi dire. Victoria s'impatienta, se disant que le supplice n'allait certainement pas durer aussi longtemps que le vampyr mettrait à reprendre ses esprits et à se décider. Elle finirait bien par revenir à la raison et prendrait certainement ses jambes à son cou.
Il lui demanda pourquoi. Pourquoi ? Franchement, avait-elle le choix ? Elle ne voulait vraiment pas provoquer un incident diplomatique, et ce bien qu'elle fût sangrave. Elle n'apprécierait certainement pas que le vampyr s'attaque aux invités, aussi ennuyeux fussent-ils.
Alors, les questions de ce genre, il pouvait se les garder.

Il est vrai qu'en tant que sangrave, elle aurait dû se réjouir de l'incident qui avait failli se dérouler. Cela aurait semé le désordre et la discorde entre les deux nations et aurait offert une énième occasion aux sangraves de planter le couteau un peu plus profondément dans la plaie, le retourner même. Seulement elle n'aimait ni le sang, ni les carnages, et de toute façon ses "collègues" n'en sauraient rien. Elle était prête à donner son sang pour éviter à ce vampyr de voir tous ses efforts réduits à néants.
En même temps, Maxxim aurait tout de même pu prévoir ce genre de désagrément, non ? Il aurait pu se nourrir avant d'aller à cette stupide soirée, pour ne pas qu'elle en vienne à devenir stupide à son tour et à trancher son stupide poignet avec son stupide couteau, dans un stupide couloir sombre et désert, à la merci d'un vampyr, affamé qui plus est.

Toutes es pensées ne mirent qu'une demi-secondes à traverser son esprit en tourbillonnant follement, juste le temps que la peur laisse momentanément place à la colère, et qu'elle se mette à siffler : « Pourquoi ? Vous auriez peut-être préféré que je vous laisse en plan avec votre faim, histoire d'assister en direct à l'attaque d'un vampyr BSH sur des politiciens ennuyeux à mourir mais innocents ? Vous voulez peut-être gâcher les efforts que vous avez fourni pour tenter de faire accepter votre régime alimentaire à vos amis à crocs ? Je n'en ai aucune en vie, croyez-moi. Nourrir un vampyr n'était pas sur ma liste aujourd'hui, et j'essaie d'éviter la catastrophe alors décidez-vous et buvez ! »
Et pour appuyer ses paroles, elle tendit son poignet tremblant au vampyr qui était tombé à genoux. Non mais, elle lui en posait à lui, des questions idiotes ? Elle était maintenant paralysée par la simple peur de l'attente. L'attente. Elle attendait bien gentiment qu'un buveur de sang s'abreuve à son poignet !
Elle était aussi folle que ces Autre-Mondiens.

Victoria était comme dans un rêve. Ce vampyr qui s'avançait lentement vers elle, ce n'était pas réel. Ces mains qui se posaient doucement sur ses bras, l'incitant à s'asseoir, ce n'était pas non plus réel. Elle sentit le sol froid à travers le mince tissus de sa robe, et elle vit les yeux rouges du vampyr se poser sur son poignet, le prendre avec douceur et sans se presser, il passa le doigt, le porta à sa bouche et le lécha. La jeuen femme déglutit avec difficulté, ne pouvant quitter des yeux cette visions qui semblait sortir tout droit de son imagination. Oui. C'était cela. Rien qu'un mauvais rêve, dont bientôt elle sortirait.

Elle sursauta lorsqu'il eut un petit rire et lança : « Wow… vous êtes de première qualité vous… ». Elle ne sut comment réagir, alors elle ne réagit pas, les yeux écarquillés. Elle se dit une fois de plus que ce n'était d'un songe, rien qu'un songe et que tout allait pour le mieux. Elle n'était pas vraiment dans ce couloir isolé de tout, auprès d'un vampyr BSH affamé. Non, ce n'était qu'un rêve.

Pourtant, lorsque le vampyr planta ses crocs d'une façon dont Victoria ne s'était pas du tout attendue et qu'elle eut du mal à comprendre, la douleur était bien réelle, mais elle resta silencieuse, sa respiration s'accélérant progressivement. Il but à petites gorgées, et la jeune femme s'appuya contre le mur, leva la tête, et ferma les yeux.
Elle compta les secondes qui s’égrainaient lentement, doucement, au rythme des gorgées du vampyr. Elle se dit que ce n'était rien, qu'il n'allait pas la tuer, pourtant elle eut peur tandis que le temps passait.

Finalement, elle entendit un petit bruit, des griffes raclant le sol de pierre et ouvrit les yeux pour voir le Familier de Maxxim. Ce dernier cessa de s'abreuver, et d'une voix qui se voulait rassurante, il demanda : « Vous.. allez bien ? Vous n’êtes pas trop choquée ? »
Si elle était choquée ? Se moquait-il d'elle ? Il venait de boire son sang et il lui demandait si elle était choquée ? Elle était révoltée, indignée et bien d'autres choses encore, à côté desquelles être choquée paraissait bien léger en comparaison.
Elle se répondit pas et pressa sa main sur son poignet blessé. Puis elle tenta de se relever, mais elle usé ses dernières forces en se mettant en colère, ce qui ironiquement l'irrita encore plus.
Elle leva les yeux pour rencontrer ceux du vampyr, la gorge trop serrée pour parler, lui demandant silencieusement de l'aider.