Victoria vous montera toujours une jeune femme pleine de charme, d’assurance et de beauté. Elle aura ce rire cristallin qui vous fait tourner la tête en l’entendant. Lorsqu’elle sourira, ce sera d’une innocence à faire pâlir un saint, et rien dans son attitude ni son expression, ne la trahira, à part ses yeux, qui sont l’accès direct à son âme.
Elle jouera les petites filles bien élevées à qui la Terre manque, et qui pour s’en rappeler s’habillera en mélangeant le style terrien et d’Autre-Monde, le tout en de sublimes tenues, très originales. Elle voudra vous faire croire qu’elle est douce, qu’elle est charitable, alors qu’en fait, elle vous enverra mentalement promener.
Au lieu de véritablement désirer partager le lit d’un de ces dignitaires, elle voudra plutôt leur soutirer des informations, aussi utiles qu’inutiles, qu’elle rapportera directement à ses amis les sangraves. Elle a parfaitement conscience de sa beauté, croyez-moi, et elle sait quoi en faire.
La vérité, c’est que Victoria se protège avant tout. Elle protège son âme fragile et encore secouée par le passé, elle protège aussi son secret de sangrave. Elle a peur de s’attacher aux gens, car elle sait qu’elle en souffre à chaque fois. Malgré le fait que les sangraves la croient inutile, surtout parce qu’elle est une nonso, Victoria a plus d’un tour dans son sac. Elle sait animer une foule, elle est très convaincante.
Son intelligence et sa vivacité d’esprit lui permettent de (presque) toujours placer les bons mots, où il faut et quand il faut. Elle se fait aussi un devoir de cerner rapidement les gens, quitte à user de quelques talents connus de peu de personnes.
Mais elle est aussi têtue qu’un troupeau de mules, et malgré ses décisions mûrement réfléchies, il lui arrive d’être guidée par ses émotions, ce qui peut la mettre en danger. Elle a le talent de passer inaperçue, ce qui lui permet d’espionner certaines conversations très intéressantes. Elle sait se défendre en cas de besoin, un mélange de pugilat à la terrienne et à la sangrave. Aussi, sa petite taille (1,65 m), ainsi que sa souplesse et son agilité lui permettent de se faufiler dans des endroits très étroits. Elle ne manie que le couteau, qu’elle préfère au lancer plutôt qu’au corps-à-corps. Elle a ainsi de nombreuses faiblesses qu’elle s’efforce de cacher, ainsi que celle de ne jamais tuer, quitte à laisser un témoin divulguer son précieux secret.
Victoria ne fait confiance à personne, pas même à elle.
Elle est notamment d'une forte sensibilité et d'une susceptibilité à faire peur, elle a aussi tendance à se mettre en colère pour un oui ou pour un non. Vous ne pourrez jamais savoir ce qu'elle ressent sous son masque de jeune femme parfaite, car il est presque impossible de le prédire. Heureusement et dans la limite du possible, elle sait maîtriser ses émotions. Je dis bien : dans la limite du possible. Ainsi, ne vous étonnez pas si vous entendez des bruits d’objets en tout genre s’écrasant et se brisant au sol. N’ayez pas non plus trop peur en rencontrant son légendaire regard meurtrier, qui pourrait effectivement tuer s’il était armé d’une mitraillette.
Les nuits de Victoria sont parfois peuplées de souvenirs douloureux de son passé, et à son réveil, croyez-moi, il ne vaut mieux pas la chercher.
Néanmoins, s'il y a bien une chose pour laquelle Victoria ne ment pas, c'est son goût pour la mode. Elle adore se pomponner, en effet, et toute l'attention qui lui est réservée n'est pas pour lui déplaire, bien que le fait qu'elle mente sur à peu près tout calme un peu ses ardeurs. Elle a son côté très "fille" et ses petits fantasmes, mais elle sait au fond qu'elle ne doit pas trop se leurrer. Elle est toutefois d'un grand optimisme que même elle ne peut décourager.
S'il y a bien une chose que Victoria craint au point de la rendre lâche, c'est la mort. En effet, cette peur lui aura coûté son père.
BiographieLorsqu'on est enfant, on est insouciant, naïf. Certains plus que d'autres. Mais on est aussi innocent, on ne comprend que les bonnes choses, et on a toujours de l'espoir. On n'abandonne jamais, on tente d'atteindre notre but par tous les moyens. On rit pour un rien, on pleure aussi, mais pourtant, pourtant, on rit encore et toujours et c'est ce qui compte.
Il y avait une fillette qui avait perdu cette envie de rire, elle n'était que sérieux et silence. Elle avait perdu cette innocence qui pourtant lui allait si bien, et la dureté de la vie s'était présentée à elle plus tôt que prévu.
Victoria Staveney, à dix ans, n'avait pas de mère, et un père très peu affectueux qui ne l'épargnait jamais. Lorsqu'elle faisait une bêtise, il la punissait sévèrement. Il parlait devant elle sans retenue, et les mots qu'elle n'aurait pas dû entendre étaient cependant parvenus à ses oreilles fragiles.
Logan Staveney haïssait les personnes d'Autre-Monde, et parfois la fillette n'y voyait aucune raison. Ce n'est que plus tard qu'elle comprit le sens des paroles de son père.
« Regarde-les, Tori, regarde-les bien. Tu les vois, avec leurs sourires hautains ? Eux ont eu de la chance, mais ils ont été trop égoïstes pour la partager. On avait une autre planète où aller et on ne le savait même pas. Ce n'est pas leur monde, on avait le droit de savoir ! Quand je pense que ta mère était l'une d'entre eux... Et elle me l'a dit après être morte, dans une foutue lettre ! Ah, oui, elle avait vraiment aucun secret pour moi, c'est clair ! A part la moitié de sa vie, elle m'a tout dit. »Victoria avait été choquée par cet aveu, avant de trouver cette fameuse lettre. Sa mère y disait combien elle était désolée, qu'elle n'avait pas pu en parler. Elle n’était pas une sortcelière, mais pour son père cela ne faisait aucune différence. Il la haïssait presque, de ne pas lui avoir dit tout cela, pourtant Victoria comprenait un peu sa défunte mère. Les réactions de son père étaient toujours très négatives, et surtout excessives.
La suite de la lettre parlait de "Portes de Transfert" disséminées sur la Terre, et suppliait Logan de partir avec leur enfant, dès qu'il aurait cette lettre, sur Autre-Monde, car la Terre n'était plus que l'ombre d'elle-même. Il avait fallu des mois à Logan pour se décider, et la seule raison pour laquelle il l'avait fait, c'était pour l'air pur qui l'attendait sur l'autre planète. Et, Victoria le savait, c'était aussi pour découvrir le monde dans lequel sa mère avait grandi. L'ancien militaire jouait les durs, mais sous cette carapace de sévérité et de froideur se cachait un cœur aimant, hélas il se transformait peu à peu en pierre haineuse et violente. Victoria voulut l'aider de son mieux, mais malheureusement c'était plus dur à dire qu'à faire.
Alors qu'elle avait fini de lire la lettre, elle avait vu son père entrer en trombe dans la pièce, lui arracher le papier des mains, le jeter au feu et la gifler violemment.
Logan ne montrait aucune affection envers sa fille. A ses onze ans, il l'entraîna même au pugilat, son plus grand talent de militaire. Il se montrait sans pitié et commentait toujours ses performances avec froideur et sans aucun mot de félicitation. Un jour qu'ils s'entraînaient par une froide journée, la petite en T-shirt, toute frissonnante, et le père avec son éternel masque d'impassibilité, la petite eut une douloureuse défaite.
Le choc fut intense, et la douleur vint après, lorsqu'elle recouvra ses esprits. Logan avait levé son pied avec tant de force qu'il avait presque assommé sa propre fille.
« Relève-toi ! avait-il fait sans le moindre geste pour l'aider.
Relève-toi, sinon tu es faible, et les faibles meurent ! »Alors qu'elle réprimait un sanglot, la petite se releva avec difficulté, et tenta de frapper de la même façon que son père, quelques instants auparavant. Logan attrapa son petit pied et retourna sa jambe sans ménagement. La petite tomba lourdement au sol, et sa mâchoire alla heurter la terre froide et dure avec fracas. Une larme coula sur sa joue. Elle voulut crier, pourtant elle se releva et continua le combat.
Peu à peu, elle progressa, mais cela n'apporta aucun changement dans l'attitude de son père. Il ne la laissait pas fréquenter d'autres enfants, elle les regardait de loin, envieuse mais s'interdisant pourtant de désobéir. Ce n'était pas l'envie qui lui manquait.
Mais Victoria n'avait pas encore réellement compris ce qui se passait. A quinze ans, elle découvrit en espionnant une conversation, que son père fréquentait régulièrement des personnes avec des masques se colorant différemment, habillées tout en noir ou en gris foncé. Le ton était hautain, et son père semblait presque craindre les sangraves. Mais il buvait leurs paroles, et dans ses yeux elle voyait briller la haine et la soif de puissance.
Victoria savait qu'il était naïf, et qu'en vérité, tout ce que voulaient les sangraves, c'était la mort. Elle l'avait appris en s'approchant d'un peu trop près d'un groupe d'adolescents qui parlaient de ces sangraves avec animation, et presque crainte.
Victoria, voyant cette faiblesse chez son père, ne se permit pas de le lui reprocher, mais cette découverte lui donna en quelque sorte le courage d'aller voir ailleurs. Elle s'enfuyait chaque jour discrètement, et son père de plus en plus occupé par ses "affaires", la tâche était facile.
Elle rejoignait les jeunes de son âge, et peu à peu, elle eut des sourires, des rires même, et elle se sentit revivre. Ils étaient tous gentils avec elle, et ses faiblesses ne semblaient pas les préoccuper. Ils l'acceptaient telle qu'elle était, rêveuse et un peu timide, et peu à peu elle se rapprocha de Warren, un garçon d'un an plus âgé qu'elle.
Le soir, de plus en plus souvent, ils se retrouvèrent pour discuter surtout, puis les liens se firent plus ambigus, et Victoria, s'impatientant, prit les devants. Elle embrassa un garçon pour la première fois de sa vie.
Elle avait lu dans ses innombrables livres comment faire. Elle avait cru que ce serait difficile, pourtant le mouvement lui venait naturellement. Warren fut d'abord surpris, puis répondit à ses baisers avec ardeur. Victoria sut alors ce qu'elle ressentait depuis le début ; ce magnétisme, cette force qui lui donnait envie de s'approcher toujours plus près de lui, cette électricité à chaque contact... c'était de l'attirance, forte, puissante.
Leurs sorties nocturnes se firent plus fréquentes, et chaque fois leur ardeur allait plus loin, jusqu'au soir où ils le firent.
Ce n'était pas du tout comme Victoria l'avait imaginé. Tout d'abord, il y avait cette horrible douleur qui disparaissait peu à peu, puis ce plaisir sauvage qui allait en grandissant. Oui, c'était décidément la plus délicieuse de toutes les sensations.
Ils continuèrent de se voir, heureux comme jamais ils ne l’avaient été, surtout Victoria. Elle découvrait chaque fois de nouvelles sensations, et peu à peu elle sentait grandir en elle des sentiments qu'elle n'aurait osé ressentir à peine quelques mois plus tôt. Elle se disait parfois que, si elle venait à perdre Warren, jamais elle ne s'en remettrait, et la force de son attachement lui faisait un peu peur.
Hélas, tout bonheur a une fin, n'est-ce pas ? Il arrive un jour où la joie est lasse de la personne qu'elle occupe, et préfère s'en aller, laissant la place à la douleur, qui vient, puissante, et qui détruit tout d'un coup brusque et violent.
Victoria était adossée à un arbre, les mains dans ses cheveux de son amant, l'embrassant avec fougue alors que les mains de Warren parcouraient son corps avec douceur et passion, déclenchant en elle de délicieux frissons.
« Je t'aime. » dit-elle entre deux baisers. Warren l'embrassa alors plus fort, heureux de la confession de Victoria qui enfin avouait ses sentiments.
Puis il y eut un bruit. Des pas lourds et rapides. Ce bruit se rapprochait, et les deux jeunes gens s'écartèrent brusquement, juste à temps pour voir Logan Staveney s'avancer rageusement vers Warren. Ce dernier n'eut pas le temps de réagir, et reçut le poing du militaire en pleine mâchoire, avant d'aller s'écraser au sol.
« Papa, non ! » cria Victoria, alors que son père s'apprêtait à frapper Warren, à nouveau. Celui-ci stoppa net, lançant à sa fille un regard méprisant et hautain, et cracha :
« Alors, c'est ça ! Tu fricotes avec un garçon pendant que je me tue à nous construire une nouvelle vie ? » Et il la gifla si violemment, si fort qu'elle tomba au sol.
Soudain, elle sentit monter en elle une rage sourde, un torrent de haine que jamais, jamais elle n'avait ressenti. Les paroles de son père, sa gifle et son regard, tout en lui la mettait en rage. Elle gronda presque comme un félin enragé et essuya le sang qui perlait au coin de sa lèvre. Elle se redressa alors, lentement. Accroupie, elle se releva soudain avec rapidité, puis, sans que son père ne puisse réagir, elle lui asséna un coup de pied en pleine poitrine. Elle sentit son torse musclé et puissant, pourtant il tomba sans résistance au sol, le souffle coupé, la surprise déformant ses traits.
Victoria ne put se maîtriser davantage, et se mit à crier :
« NOUS ?? DEPUIS QUAND Y A T-IL UN NOUS ? DEPUIS QUAND TE SOUCIES-TU DE MON BIEN-ETRE ? »Et elle partit en courant, sans attendre Warren qui se relevait déjà. Elle courut aussi loin qu'elle put, les larmes brouillant sa vue, la faisant trébucher, pourtant elle ne sentait rien, rien mis à part cette douleur lancinante qui lui déchirait la poitrine. Cette homme, étendu là-bas, n'était pas son père. C'était un monstre.
Et elle était comme lui.
Elle resta des heures entières dans la forêt, et personne ne vint, et elle n'attendit personne. Elle resta recroquevillée contre un arbre, horrifiée. Elle ressemblait à son père, elle frappait ceux qu'elle aimait sans aucune retenue, par simple colère. Elle était comme son père, tout comme lui...
Non, non ! Elle n'était pas comme lui ! La preuve, elle restait là, lamentable, à pleurer sur son sort, à pleurer sur des remords et de la douleur, à pleurer parce que son père n'était pas humain. Son âme était pourrie jusqu'à la moelle, pourquoi la sienne, à elle, était toujours là, et elle comptait bien la garder ainsi.
Jamais, non, jamais, elle ne laisserait son père changer quoi que ce soit en elle. Plus jamais.
Elle rentra quelque temps avant le lever du soleil, la peur lui tordant le ventre. Elle craignait par-dessus tout la réaction de son père en la voyant, et elle craignait aussi de ne pouvoir le regarder en face tant elle s'en voulait. Elle aurait tant voulu lui demander pardon, pourtant elle savait que ça ne servirait à rien. Jamais elle ne l'avait fait, du moins pas depuis qu'il lui avait dit que demander pardon était signe de faiblesse, que l'on avait quelque chose à se reprocher, qu'on manquait de confiance, qu'on était trop lâche. Victoria, maintenant, savait que c'était au contraire un signe de force, d'avouer sa faute, sa faiblesse, d'avouer ses remords, d'avouer être humain.
Victoria ouvrit la porte d'entrée de leur petite maison avec hésitation, lentement, silencieusement. Elle inspira profondément, avant de l'ouvrir complètement. Et de voir la scène la plus atroce, la plus choquante qu'elle n'aurait imaginé.
Son père, son père qu'elle aimait en fait de tout son cœur, à qui elle tenait bien plus qu'elle ne l'avait cru, car c'était inscrit dans ses gênes. Et puis un homme, une silhouette toute vêtue de noire, un visage à demi-masqué, un visage tourné vers son père, à genoux, l'air suppliant, l'air terrorisé.
Terrifiée, Victoria resta ainsi quelques instants, qui suffirent au voleur.
Une lame aiguisée, et son père qui tombait, qui tombait lourdement, les yeux grands ouverts, qui restait immobile, qui ne bougeait plus.
Victoria faillit crier, mais elle se retint, elle plaça sa main devant sa bouche, sinon elle crié, crié jusqu'à n'en plus pouvoir. Elle aurait perdu toute maîtrise, et elle se serait fait voir, et elle aurait subi le même sort.
Le voleur rangea son arme et partit par la fenêtre ouverte, et en un clin d’œil, il avait disparu.
Et Victoria resta là, debout, immobile, le regard vide, ce regard fixé sur son père, son père qu'elle aimait tant, son père qu'elle venait de perdre. Elle resta là une heure, une journée, elle ne savait pas très bien, à vrai dire elle s'en fichait, et plus le soleil se leva, vint éclairé le visage déformé par la terreur de son père avant de mourir, et Victoria courut jusqu'au corps de Logan Staveney, elle s'effondra à côté, et hurla, hurla des heures durant, hurla de toutes ses forces.
« Papa ! supplia-t-elle.
Je t'en prie Papa, pas toi ! Non ! Je t'aime, pas toi... PAS TOI ! » Elle cria encore et encore, jusqu'à ce que sa voix s'éteigne dans sa gorge, jusqu'à ce que plus un son ne put sortir de sa bouche, et pourtant elle continua, en elle, de hurler encore et encore, sans plus s'arrêter, de hurler sa douleur, de hurler la haine qu'elle nourrissait envers elle-même. Cette lâche qui avait eu trop peur de mourir pour pouvoir défendre son père, arrêter le voleur, cette peur de subir le même sort que son seul et unique parent, cette lâche elle la haïssait de tout son être.
Cette lâche, c'était elle. Jamais, jamais plus elle ne croiserait son regard dans un miroir sans y trouver de la haine, sans que la glace ne reflète ce sentiment.
Jamais.
Victoria resta près de la dépouille de son père pendant des heures entières. Warren qui avait entendu ses cris déchira, arriva quelques temps après qu'elle eût cessé. Choqué d'abord, il s'avança ensuite vers la jeune fille pour tenter de lui parler.
Elle sortit un instant de son mutisme pour crier, on ne sait comment d'ailleurs :
« VA-T'EN ! JE TE HAIS, TOUT EST DE TA FAUTE ! JE TE HAIS, NE REVIENS JAMAIS, JAMAIS ! »Elle ne savait pourquoi, oh, Dieu, elle ne savait pas pourquoi elle l'accusait lui, alors qu'elle savait que tout était de faute à elle, depuis le début.
Warren partit sans un mot, et ne revint pas.
Peu après, une sangrave au masque miroitant se matérialisa dans la pièce, et avisant le cadavre et la jeune fille, son masque se teinta légèrement.
La sangrave (son nom était Lyra) s’occupa, si l'on pût dire, de Victoria. Elle lui donna à manger tandis que, dans son mutisme, elle ne pouvait que mâcher, de façon mécanique, sans s'en rendre compte. Les jours passèrent, et la sangrave persévéra. Elle parlait chaque jour à la jeune fille, de tout et de rien, de choses sans importance. Puis elle dit un jour, et cette révélation paya sa patience dûment méritée :
« Tu as intérêt à te bouger un peu. Ta mère m'a sauvé la vie, et j'ai une dette envers elle, alors fais-moi le plaisir de saluer ta tante. »Peu à peu, Victoria se réveilla, et la première fois qu'elle bougea à nouveau, le voulant et le faisant réellement, elle pleura pendant des heures, des jours peut-être, dans les bras de Lyra. Elle était trop triste, trop centrée sur sa propre douleur, qu'elle ne s'étonnait même pas de la gentillesse d'une sangrave. Elle avait toujours vu chez elle et ses semblables de la cruauté, de l'indifférence, mais jamais de gentillesse.
Ainsi, à petits pas lents, Victoria reprit vie, mangeant du'elle-même lorsqu'elle avait faim, et elle redevint autonome, ne dépendant de Lyra (celle-ci avait enlevé son masque, révélant un visage lisse, la froideur animant ses traits fins) que pour faire ses repas. Au fur et à mesure que Victoria reprenait goût à la vie, Lyra se faisait de plus en plus froide, et la jeune fille comprit que sa gentillesse n'avait été que mensonge. Pourtant, elle avait porté ses fruits.
Toute cette histoire paraissait folle. Sa tante qui la retrouvait par miracle, qui disait avoir une dette envers sa mère. Sa tante, une
sangrave, qui l'aidait, la nourrissait, vivait avec elle. Cette cruelle personne qui s'occupait d'elle comme de son enfant, comme si sa responsabilité dépassait l'imagination de Victoria.
Tout ce monde lui paraissait fou. Elle l'était l'était peut-être aussi.
Victoria, sans préambule, dit un soir :
« Je veux être des vôtres. » Elle ne se démonta pas devant regard hautain que lui lança la sangrave. Elle soutint ses yeux méprisants, avant que la bouche aux lèvres fines et légèrement pincées, ne dise :
« Et à quoi nous servirais-tu ?- Je pourrais vous donner des informations. » Lyra haussa un sourcil, l'air indéchiffrable cette fois-ci.
« Vraiment ? »Elle sentait, et elle n'aurait su dire pourquoi, qu'elle devait quelque chose à son père. Il avait subi, jusqu'à sa mort, les caprices et la cruauté de la vie, et si son but était d'aider les sangraves, alors soit. Alors Victoria répondit, l'air déterminé mais froid, soutenant toujours le regard de la sangrave :
« Vraiment. »Séduire un homme n'était pas facile. Il ne suffisait pas de roucouler et de battre des cils, il fallait savoir placer les bons mots, être belle et attirante, il fallait aussi être pleine d'assurance, être
aguicheuse.
Lyra apprit tout cet "art" à Victoria, qui expérimenta son savoir sur différents cobayes. Le résultat était satisfaisant, pourtant Lyra était comme son père : sans aucune affection. Lorsque Victoria demandait à sa tante ce qui s'était passé entre sa mère et elle, Lyra refusait de parler, pourtant cela ne lui aurait pas fait grand-mal.
Tout ce que le jeune femme savait, c'était que sa tante avait un jour été en danger de mort, et que sa mère, contrairement à elle, avait eu le courage de défier la mort, et avait remporté le combat. Victoria se sentait encore plus minable lorsqu'elle pensait à cela, et bien sûr, des souvenirs de son père remontaient à la surface.
Alors elle cessa de poser la question, de peur de souffrir davantage, malgré elle restait curieuse.
Elle ne savait par pourquoi elle croyait la sangrave, pourquoi elle était la seule personne qu'elle croyait. Elle n'avait pourtant aucune confiance en elle, mais quand Lyra disait qu'elle était sa tante, Victoria la croyait. C'était curieux, et cela effrayait la jeune femme.
Il arrivait à Victoria se songer à Warren, qui avait été le seul amour de sa vie. La force de ses sentiments envers lui, qui semblaient persister, était pour elle un fardeau. Jamais elle n'aurait cru vouloir haïr quelqu'un, juste pour pouvoir l'oublier un peu et cesser de vouloir revoir cette personne. Car elle souhaitait qu'il revienne, mais elle savait qu'il ne le ferait pas, pas après les horreurs qu'elle lui avait crachées au visage. Elle avait changé, aussi, et elle ne pouvait dire si elle aurait eu la force d'aimer à nouveau.
Sa tante disait que les sangraves devaient pour l'instant rester dans l'ombre, mais que bientôt ils s'annonceraient, et elle riait en disant cela, une joie malfaisante brillant dans ses pupilles.
Un soir, elle emmena sa nièce dans une vieille maison toute délabrée, où habitait un homme d'une trentaine d'années, seul. Quand elle lui ordonna de le tuer, Victoria resta bouche bée, avant que Lyra ne lui dise :
« C'est l'homme qui a tué ton père. Vas-tu le laisser s'en tirer à si bon compte ? »Et elle le tua. Pour la première fois de sa vie, Victoria tua un homme, enfonça une lame dans la chair, vit le sang couler de la plaie, vit la vie s'échapper, par sa faute, de cet homme, ce voleur, ce tueur. Celui qui avait tué son père.
Mais pourtant, pourtant, Victoria rêva longtemps de ce moment, regrettant mille fois son geste, regrettant d'avoir vengé son père, d'avoir pris la vie d'un autre. Cela n'avait aucun sens, elle se disait que ça n'avait pas ramené son père. Seulement son fantôme, et la douleur de sa perte. Aucune satisfaction, seulement le remords d'avoir pris une vie.
Personne ne devrait avoir à décider qui doit vivre ou mourir, pensa-t-elle.
Personne n'en a le droit.Sa rencontre avec Lÿyn Selaris-Duncan fut toute planifiée, pourtant Victoria se surprit à s'attacher peu à peu à la sortcelière, malgré tout ce qu'elle pouvait bien penser. Grâce à cette amitié finalement pas si fausse, Victoria se fit connaître d'Autre-Monde, et sa beauté fit le reste. Elle inventa un style bien à elle, de vêtements, mélangeant ceux de la Terre et ceux d'Autre-Monde. Elle était toujours magnifique, pleine de charme et d'énergie. Elle passait des nuits chez un homme, souvent plusieurs, pour gagner sa confiance, et placer subtilement des questions sur ses affaires. Elle espionnait des conversations privées, et rapportait tout cela aux sangraves, qui s'étaient déclarés récemment.
Pourtant, Victoria n'était pas heureuse. Elle se demandait souvent si elle allait recroiser Lyra, qui l'avait laissée à ses affaires depuis qu'elle savait les gérer seule, et si cela lui procurerait une quelconque joie.
Non, probablement pas.
Lyra était malsaine, pleine de cruauté, mais Victoria avait su voir à travers ce regard. Tout comme elle, la souffrance l'avait transformée. Elle se protégeait, tout simplement. Elle n'avait voulu que lui dire la partie facile de l'histoire : elle avait longtemps cherché l'endroit où vivait la fille de sa sœur, et Victoria savait, à cause de cette dette que Lyra semblait avoir envers sa mère, que sa tante avait bon fond, seulement elle refusait de le montrer.
La jeune femme était finalement pareille, et cela l'effrayait bien plus qu'autre chose.