T’vois moi j’avais espérée vivre comme dans un conte de fée. Au début tout va mal, j’me casse la gueule, et puis finalement ça s’finit bien, y’a le prince qui se pointe enfin et on s’aime jusqu’à la nuit des temps. Bah j’l’ai eu mon conte, mais l’auteur devais être défoncé car il a tout fait à l’envers : tout avait bien commencé pour moi, p’tite princesse et tout, puis mon prince se casse et j’finis seule comme une merde…

LIFE IS A SUCCESSION OF MOMENTS
De ton enfance tu ne gardes que vagues souvenirs, toujours debout dans ton esprit on ne sait comment, sauvegardés par miracle dans un recoin de ta tête. Parmi l’un d’eux, la séparation de tes parents est certainement le mieux conservé, celui qui ne disparaitra jamais, même si tu souhaiterais l’oublier.
Tu te rappelles comme si c’était hier ta mère en larme se raccrochant désespérément à la longue veste grise de ton père, gémissant, hurlant à la mort, gesticulant dans tous les sens et ton père qui la laissait faire, la regardant simplement avec un air de pitié.
Toi tu étais caché en haut de l’escalier et aucun des deux ne savaient que tu étais là, bien à l’abri, ton doudou dans les bras, pouce dans la bouche. Tu ne disais rien, tu ne pleurais pas, tu regardais simplement, comme si tu regardais un spectacle de marionnettes. Pourtant tu comprenais ce qu’il se passait, tu savais exactement comment cela allait se finir. Mais tu restas là, sans bouger, sans rien dire.
Les cris continuèrent encore une bonne heure, puis ton père en eu marre et il poussa violement sa femme dans un fauteuil, la regardant de ses yeux froids qui ne le quittaient jamais. Tu le vis lui parler sans comprendre ce qu’il disait et d’un coup il disparut, sans prévenir. Comme Joséphine Ange Gardien tu vois. Sauf qu’elle, quand elle part, ça veut dire que l’histoire est terminée et que tout va bien. Pour toi, les emmerdes commencent ma belle.
Pourtant ta p’tite vie avait bien commencée. T’étais du genre pourri gâtée, avec une mère à tes pieds et un père absent mais pleins aux as. L’truc dont toutes les petites snobs rêve quoi. Et puis vers tes sept ans il partit sans dire en revoir, te laissant seule avec ta mère, effondrée. Et la galère commença. De la belle villa paisible et luxueuse vous déménagèrent dans un vieil appartement miteux en banlieue, adieux les belles robes et les heures à se pouponner devant le miroir, adios les chaussures par centaines, une paire pour l’hiver ça f’ra l’affaire. Je crois que le plus dur pour toi fut certainement le regard et les moqueries des autres. Il faut dire qu’une gamine mal fringuée et qui se la pette plus haut que son cul et qui dit à tout le monde que son père –que personne n’a jamais vu- a des pouvoirs, excusez mais ça n’attire pas que des potes quoi.
Et puis finalement tu mis de côté ta personnalité je m’en foutiste et snob pour aider et soutenir ta mère, tu abandonnas l’idée de revoir un jour ton père, tu ignoras les autres et tu vécus ta vie sans trop d’encombre.
A tes douze ans, vous déménagèrent car ta mère avait trouvé un travail mieux payé. C’était pas la folie mais c’était mieux. Ta mère dépensait une bonne partie de son salaire pour toi, disant que c’était pour compenser ces cinq années de misère. Tu savais qu’en faisant ça elle se sacrifiait et ça te faisais mal pour elle, mais tu acceptais quand même, car on fond t’avais pas tellement changé, ton côté pourrie gâtée étant juste en hibernation.

A MONSTER DEVOURS ME
Tu n’y croyais pas vraiment quand la nouvelle tomba. Tu refusais d’y croire, tu niais, tu repoussais loin de toi l’éventualité même. Mais ça ne changeait rien. C’était ancré en toi. C’était toi. Tes petites cellules mal foutues te dévoraient de l’intérieur et tu ne pouvais rien n’y faire. Tu te détruisais toi-même. Comment lutter contre soi ? Ta mère pleurait en bas dans la cuisine. Toi tu n’y arrivais pas, les larmes ne voulaient pas couler. Allongée sur ton lit tu regardais sans vraiment le voir le plafond d’un blanc immaculé et tu pensais. Bientôt les traitements commenceraient, tes cheveux tomberaient, tu auras très souvent envie de dormir, tu maigriras à vue d’œil, tu déprimeras, tu…. Non. Tu refusais de sombrer. Tu refusais d’être un de ses pitoyables malades qui ne supportent pas la maladie et qui la laisse grandir en eux, plus forte à chaque seconde qui passe. Jamais. T’étais pas n’importe qui, merde. Tu refusais de recevoir ses regards de pitié qui donne envie de vomir, tu refusais tous ces cadeaux-cancer qu’on donne aux gens malades, tu refusais d’être une cancéreuse. Non, tu n’étais pas malade. Tu n’étais pas malade.
Les traitements commencèrent, tu encaissas. Pas ta mère. Tes cheveux tombèrent, tes joues se creusèrent un peu, mais tu arrivais à faire face. Une perruque chaque matin, une tonne de maquillage et sourire factice et le tour était joué. Tu n’étais pas malade. Tu n’avais pas voulu arrêter l’école, mais déjà pas brillante élève tes notes chutaient. Qu’importait les études, aux yeux de tous, tu n’étais pas malade, c’est ce qui comptait. Tu allais bien, parfaitement bien. Rien n’avait changé, rien.

HEY IDIOT, I LOVE YOU
Tu rencontras l’amour avec un grand A un peu avant de faire la rencontre du cancer. T’avais 16 ans, c’était la première fois que tu ressentais autant de chose pour quelqu’un. Et la dernière fois aussi, car p’tain comme ton oreiller en a essuyé des larmes !
C’était un mec âgé d’un an de plus que toi. Il avait redoublé alors vous étiez dans la même classe. Au début tu l’avais pas remarqué, un mec plutôt pas mal parmi tant d’autre. Et puis une de tes potes t’as dit qu’il faisait que de te mater. Toi tu t’en fichais. T’avais l’habitude qu’on te regarde, avec ton petit boule bien foutu, t’en faisais tourner des têtes. Il a commencé à trainer avec ta bande de potes, tu t’es tout de suite super bien entendu avec lui et très vite vous êtes sorti ensemble. Ça aurait pu être une p’tite histoire sans importance comme tu en a eu pleins déjà. Mais avec lui c’était plus fort, pleins beau, plus intense. C’était plus. Pendant un an, tu vécus un rêve éveillé. J’dis pas que ça a été rose tous les jours, mais vous étiez fait l’un pour l’autre, c’était une évidence. Toutes ses conneries, l’univers, les molécules qui le constitue, l’homme et tout le bordel, c’était juste pour qu’un jour vous soyez réunis. Cendrillon et le Prince Charmant.
Sauf que Cendrillon avait plus de cheveux, le prince le découvrit, et il changea de visage. Le bel amant se transforma en gros bâtard et après s’être bien marré il détala comme un lapin sur son cheval blanc. Fin de l’histoire.
Alors depuis tu t’es jurée de ne plus tombé amoureuse. Déjà que tu t’autodétruis, manque plus qu’un pov’ con qu’à pas les couilles de venir en aide à sa copine malade détruise ton cœur. Maintenant t’as décidé que c’était à toi de jouer et de gagner. C’était à toi de briser les cœurs.

I WAS FINE WITHOUT YOU
Quelques mois plus tard un revenant fit son apparition. Depuis bien longtemps tu ne pensais plus à lui. Enfin c’est ce que tu disais à ta mère pour ne pas l’inquiéter, pour ne pas lui faire de peine. Il se pointa chez vous comme ça, sans même frapper à la porte. Tu le reconnus instantanément bien qu’il avait un peu vieillit. Il avait toujours ce même regard froid et distant, ce sourire ironique sur les lèvres et ses vêtements longs et sombres totalement démodés. Ta mère se tenait peureusement derrière lui, tremblante de la tête au pied. Tu ne savais pas trop comment réagir. L’ignorer, l’engueuler ?
« Salut. » dit tu simplement. Et tu partis de chercher un Pitch dans le placard. C’était l’heure du gouter, ton ventre criait famine, c’est pas parce que ton lâche de père était réapparu mystérieusement que tu allais le faire attendre tout de même. En réalité, tu agissais comme cela pour cacher ton étonnement et ta peur. Tu détestais admettre que tu n’avais pas le dessus. Il demanda à ta mère de partir ce qu’elle fit sans rechigner. Tu lui jetas un regard mauvais avant de fixer intensément ton père. Il y avait un quelque chose dans son visage qui faisait effroyablement peur, et un quelque chose d’incroyablement rassurant. Tu ne savais quel côté choisir.
« Arrives-tu à faire de la magie Louison ? » demanda-t-il de la façon la plus normal du monde. Tu te demandas un instant s’il ne se foutait pas de ta gueule. Mais ton père ne savait pas blaguer. Apparemment ça n’avait pas changé car ses yeux n’avaient pas cet éclat de malice qui s’installe dans nos pupilles quand l’on fait une bonne blague. Alors tu lui répondis froidement :
« Non, mais si tu te posais la question, oui je vais bien, oui j’ai survécu à ton départ et oui je survis à mon cancer. » Et tu ajoutas tout bas « Connard ».
Il sembla embêté. Pas pour avoir oublié de demander de tes nouvelles. Il s’assit en face de toi et te regarda.
« Tu as un cancer, c’est embêtant ça…
Ah, tu trouves ? » répondis tu en rigolant nerveusement. Tu n’avais plus vraiment faim et tu tripotais de tes doigts fins le reste de ton Pitch. Fallait que tu prennes tes médocs, mais tu avais la flemme d’aller les chercher. Alors tu décidas d’enlever ta perruque. Tes mains caressèrent ton crâne nu et tu frissonnas. Tu détestais cette sensation. Tu avais l’impression que la mort était encore plus proche. Ton père lui resta impassible, ses yeux noirs posés sur toi.
« Es-tu en colère ? »
Tu le regardas, incrédule. Il se demandait sérieusement si tu étais en colère ? C’était du foutage de gueule là.
« Oui papa je suis énervée, et tu sais pourquoi ? Parce que ma vie n’est qu’une suite d’emmerdes, plus chiantes les unes que les autres et qui s’entassent sur mes petites épaules. Parce que deux connards m’ont abandonné durant ma misérable vie de merde. Deux ! Le premier, c’était toi. Tu crois que maman avait les nerfs pour encaisser ça ? Bah non, tu vois, non ! Et moi, j’étais qu’une gosse, qu’est-ce que tu crois, que j’ai un cœur en pierre, comme toi ?
Tu fis une pause. Tout cela t’avait fatigué, ce putain de cancer encore. Mais tu voulais continuer. Car il fallait que ça sorte bordel, depuis tout le temps que c’était enfermé en toi, il fallait que ça sorte.
Y’aurait eu que toi, ma vie aurait été rose, mais tu vois mon mec m’a largué, alors qu’il était toute ma vie. Toute ma vie tu comprends ? C’était ce qui me permettait d’y croire encore un peu tu vois ? Mais il m’a largué. Tu sais pourquoi ? Parce que j’ai un cancer. Mais bordel c’est pas lui qui souffre, qu’a plus de cheveux, qui risque de mourir, c’est pas lui merde ! Mais il m’a largué, p’tain comme j’avais mal. J’ai toujours mal.
Tu baissas la voix, les larmes aux yeux.
Oui papa je suis énervée parce que je suis malade, que je ne sais pas si je guérirais. Parce que ma vie part petit à petit en lambeau et que je ne sais pas comment faire pour arrêter ça. Parce que je m’auto détruit alors que je n’ai que 16 ans et que j’aurais rien fais de ma vie. Ça te va comme réponse ? T’as une autre question à la con où j’peux monter dans ma chambre là ? »
Tu soufflas un grand coup et tu t’effondras sur ta chaise. Ton père ne semblais pas décider à te répondre mais  avant de monter tu voulais savoir ce qu’il allait dire, alors tu restas là, en face de lui, sans parler, sans bouger.
Au bout d’une dizaine de minutes il répondit simplement :
« Désolé. »
Tu baissas les yeux. S’il suffisait de dire désolé…
« Ecoute Louison, je peux peut-être t’aider. Mais il faut que tu me fasses confiance. Et il faudra que tu fasses ce que je te dis de faire, sans rechigner. Est-ce clair ?
- Vas-y balance la sauce, quoi ? »
T’aider ? Il pouvait t’aider ? Sérieusement ? Alors quoi, il allait rassembler ton petit cœur brisé, tel un puzzle ? Il allait empêcher tes putains de cellules de te bousiller ?
« Je viens d’un monde magique. Tu viens d’un monde magique. Mais je me suis installé sur Terre avec ta mère. J’ai été rappelé il y a quelques années sur Autre-Monde, et j’ai dû vous laisser ici. Je n’avais pas d’autre choix, tu comprends ? »
Un sourire se dessina sur tes lèvres. Un monde magique, ben voyons. Et toi tu étais Angelina Jolie.
« Je sais bien que tu ne me crois pas. Mais regarde. »
Ton bout de Pitch se mit à léviter pour finir entre les mains de ton père. Tu n’arrivais pas à y croire. Tu cherchais le fil, la caméra cachée, le truc dans toute la pièce, sous l’œil amusé de ton père. Et puis tu te résignas. Et si c’était vrai ?
« Si tu fais, en temps voulus, ce que je te demanderais de faire, je pourrais te soigner Louison. Mais il faut que tu partes avec moi. »
Tout ce mélangeait dans ta tête. Ta mère, ton cancer, la magie, tes amis, ta vie ici, cette autre planète, ces choses que tu devras faire, ton père, ton Pitch qui vole, ton mec qui t’as largué, ta guérison. Ta guérison. Ta guérison. Tu hochas la tête en signe qu’acquiescement. Ton père sourit. Il avait toujours très bien sut manipuler les gens en  leur faisant miroiter tout et n’importe quoi. Surtout n’importe quoi.