« Il était une fois une princesse qui vivait dans son château bleu, entouré de licornes ».
Toutes ses histoires commençaient comme ça. Une bonne situation initiale, tellement éloignée de celle de la petite Aveza, pauvre enfant des bas-fonds de Tingapour. Et si nous parlions de sa situation initiale à elle ? Aveza elle-même aurait voulu savoir. Qui est papa ? Pourquoi personne ne répondait jamais à ses questions, surtout son maudit grand frère ? Oh Maman est douce oui. Maman nous aime. Et fait ce qu’elle peut. Mais ça ne suffit pas. Ca ne suffira jamais. Et Aveza n’a beau avoir que 5 ans, elle sait déjà que jamais elle ne sera cette princesse. Que jamais elle n’aura de château bleu. Et que les licornes ne sont que des enfoirés de poneys revanchards.

« Quand tout à coup, un vilain chatrix venimeux attaqua le palais ! Et la Princesse était sans défense ! Mais heureusement, son frère était là pour là sauver. »
Son frère. Son grand frère. Aveza eut un rictus. Avec ces mots, on imaginait tout de suite un être plein d’amour pour sa cadette, un protecteur, quelqu’un de responsable sur qui on peut compter. Des bras dans lesquels on peut se réfugier, quand on ne sait pas où aller. Pouvait-elle qualifier Milosz de grand frère ? Lui qui n’a jamais compris Aveza ? Non. Vraiment pas. Pas quand son frère n’est qu’une loque humaine, faible devant n’importe quel vice, boisson, drogue ou chaire. Pas quand c’est elle qui doit vérifier quelque fois, s’il est mort ou s’il dort. Pas quand il n’a jamais pu réconforter Aveza. Mais derrière cette douce haine, Aveza sait qu’elle va trop loin. Que Milosz a fait ce qu’il a pu. Qu’il a fait ce qu’il croyait le mieux, même si ce n’était pas l’avis de sa cadette. Qu’elle le respecte pour avoir amélioré ses conditions de vie, même si ce n’est pas tout à fait de façon légale. Et puis elle avait une dette envers lui, c’est sûr. Certes, son frère n’était qu’une présence fantomatique, mais c’était une présence. Et quand on est toute seule, on est bien contente d’en avoir une. En grandissant, Aveza comprit plus de choses. Lui en pardonna quelques unes. Et finalement, une entente cordiale était née. On pourrait même croire qu’une sorte de relation fraternelle était née. Aveza n’a que lui. Alors elle fait tout pour lui. C’est pourtant simple. Même si elle manque de lui arracher les yeux à chaque rencontre, même si chaque silence hurle aux deux êtres leur désaccord. Quand on a un frère, c’est pour la vie.

« Mais le frère était tout aussi nul. Et la Princesse et son frère moururent dévorés par la chatrix puante aux crocs dégoulinant de poison dégueulasse. »
Pourquoi faudrait-il que ca se termine bien ? Pourquoi faudrait-il que la Princesse soit heureuse ? Qu’elle crève, la Princesse. Qu’ils crèvent tous, en fait. Parce que son monde à elle, celui qu’elle compte bien investir, vaut mieux que tous les châteaux du monde. Elle deviendrait une sorcelière cool & puissante. Et elle fera bien chier son frère. NAH.

« Fin de l’histoire ! »
Ou pas. Aveza a 17 ans. Age formidable où on s’affirme, & on fait raisonnablement chier le monde. Aussi la demoiselle remplit parfaitement son rôle. Cachant derrière un masque d’humour cynique ses vieilles blessures, Aveza est désormais une jeune femme éprise de poésie, malgré son langage de charretier, qui est loin d’avoir froid aux yeux ou d’avoir la langue dans sa poche. Et si finalement, elle ressemblait plus à son frère qu’elle ne l’aurait voulue.