Expression de visage impassible. Sens en éveil. Regard perçant. Lorsqu'Isÿe s'entrainait, elle ne faisait jamais les choses qu'à moitié. C'était surement d'ailleurs grâce à ces entrainements intensifs et réguliers qu'elle était devenue une des meilleures combattantes du Lancovit. Mais au fond, elle aimait ça. Se surpasser. Progresser. Mériter. Elle fit un vif demi-tour sur elle même, enchaina trois coups de Kung Fu complexes dans un équilibre parfait, toujours avec cette grâce qu'on ne lui supposait pas, enchaina sur un sprint de cent mètres, le vent balayant son visage fermé, se pointa devant une cible, dédaigna son arc en bois souple, encocha une flèche, tira, marqua. Dans le mil. Elle ne passait pas des heures entières devant des cibles pour rien. En plus d'être une excellente combattante au corps à corps, elle était, comme la plupart des elfes, une archère hors paire. Elle n'était même pas essoufflée. Le fait était que les elfes ne transpiraient pas, elle était donc dans une forme impeccable. Normal qu'elle ait toujours la pêche. Mais au fond, à quoi rimait tout ce cirque quotidien? Isÿe avait une perception des choses plutôt.. subjective. Si tu t'entraines dur, tu auras forcément la récompense derrière. Elle cherchait à se faire un nom, une renommée. La tâche était rude étant donné le grand nombre d'elfes chasseurs dans les troupes lancoviennes, et les plus hauts grades n'étaient pas donnés à tout le monde. Tout était question de mérite, encore une fois. Elle savait qu'un jour, elle le mériterait, ce haut poste. Directrice de troupes, commandante, elle ne savait pas comment ce nommait ce grade, mais elle le voulait, c'était certain. Après tout, il faut bien se fixer des objectifs dans la vie.

Elle reprit son entrainement. Déjà une heure et demie qu'elle enchainait les coups, prises, tirs et courses. Elle ne se lassait pas. Ne jamais perdre de vue son objectif. Certains la trouvent trop militaire. D'autres simplement naïve, trop ambitieuse. Puis il y avait ceux qui prenaient exemple sur elle. Les jaloux, aussi. Ceux là, Isÿe ne les supportait pas, mais les ignorait plus qu'autre chose. Elle s'accorda enfin une pause. A peine eut-elle le temps de boire une gorgée de sa bouteille d'eau qu'elle entendit l'écho de lourds pas. Elle se leva d'un bond. Alors, un groupe de gardes fit son entrée sur la pelouse verte fraichement tondue. Isÿe fronça les sourcils. Quelque chose clochait. Ces gardes n'avaient pas les manières des lancoviens. Et puis.. Mais oui! Cette robe pourpre et or, Isÿe aurait pu la reconnaitre entre mille! Et ce paon brodé au niveau de l’omoplate de chaque garde, Isÿe le reconnut : l’emblème d'Omois, plus grand Empire d'AutreMonde. « Vous allez nous suivre mademoiselle, et sans discuter. » Déclara un des gardes. Sans même laisser le temps à Isÿe de répondre, il fit un signe à ses deux collègues qui attrapèrent la jeune elfe par les bras. Muscles saillants, biceps finement musclés. Aucun chance face à des colosses pareils. Isÿe avait beau avoir une force et une rapidité au dessus de la moyenne, de part de son statut d'elfe, mais elle ne faisais pas le poids par rapport aux gardes omoisiens. « Lâchez-moi tout de suite. » Déclara-t-elle en guise d'avertissements. « Laissez moi faire les gars.. Par le Somnolus je te somme et il faut que tu t'endormes. » Puis, plus rien.

Le choc lumineux fut douloureux pour la jeune elfe. Elle ouvrit péniblement les yeux. Trop de lumière. Elle les referma immédiatement. Outch! C'est lumineux par ici! Elle tenta un nouvel essaie. Un peu mieux. Difficilement, elle tourna la tête à droite, puis à gauche. Où se trouvait-elle? Elle n'en avait pas la moindre idée. Mais elle n'était pas seule. Assise sur une chaise sur la droite d'une pièce aux murs entièrement blancs, Isÿe se trouvait au milieu d'autres personnes aux visages qui lui étaient inconnus. Elle essaya de se remémorer les faits. Oui, voilà, elle se souvenait désormais! Elle s'entrainait tranquillement quand trois gardes omoisiens étaient venus la chercher et l'avaient emmenée de force.. ici. Elle jeta un rapide coup d’œil à sa montre. Vingt-cinq heures. Elle avait dormi près de de cinq heures autremondiennes. Où se trouvait-elle, et surtout, pourquoi? Un cri provenant d'une pièce voisine l'arracha de ses pensées. Un cri de douleur. Et elle avait comme le mauvais pressentiment que bientôt, ce serait son tour..

Isÿe était totalement perdue. Pourtant, il était dur d'embrouiller la jeune elfe qui était bien plus maligne qu'il n'y parait. Particulièrement intelligente, rapide et rusée, elle savait se sortir de situations difficiles, embarrassantes ou tout simplement ennuyantes en moins de temps qu'il en faut pour le dire. Très douée. Mais cette fois-ci, c'était bien différent. Elle se trouvait au centre du plus grand Empire d'AutreMonde, au beau milieu de la capitale omoisienne, dans le palais impériale (ou du moins, c'était ce qu'elle supposait..), entourée de personnes qu'elle ne connaissait pas et qui semblaient tous aussi perdus qu'elle, dans un endroit dont elle ignorait totalement l'existence, aux murs d'un blanc étourdissant et à l'atmosphère inquiétante. Pour couronner le tout, elle avait découvert qu'on l'avait privée de ses pouvoirs de sorcelière après avoir tenté vainement de quitter cet endroit absolument pas accueillant à l'aide d'un Transmitus, ainsi que de ses nombreuses armes qui étaient pourtant parfaitement bien dissimulées sous l'armure de l'elfe chasseuse.. Elle n'avait plus son arc, plus son glaive, pas même un petit couteau, rien. Condamnée à rester ici jusqu'à ce qu'on l'autorise à sortir.

Soudain, quelques minutes à peine après qu'Isÿe se soit réveillée de l'enchantement du garde omoisien, un étrange homme vêtu entièrement de noir, hormis la chemise qu'il portait sous son costard, fit son irruption dans la "salle d'attente". Si le silence régnait toujours sur les lieux, on sentait bien que les gens commençaient à s'agiter quant à l'arrivée de cet inconnu aux allures d'agent secret dans la pièce. Isÿe observa avec attention l'homme. Mâchoire carrée, barbe de trois jours fraîchement rasée et regard vide, impassible. Il n'avait pas l'air foncièrement mauvais, mais Isÿe en était certaine, il n'était surement pas là pour se faire des amis et éprouver de la pitié envers ses "prisonniers". Il tenait un dossier aux nombreuses feuilles de papier dans ses mains. De quoi s'agissait-il? Justement, au moment où Isÿe portait son attention sur ce fameux dossier, l'homme y jeta un léger coup d’œil et releva rapidement la tête, balayant la salle du regard. « Dame Em'lyn, veuillez me suivre, s'il vous plaît. » Au début, Isÿe ne capta pas vraiment que c'était bien à elle que l'homme en costard s'adressait. Après tout, il pouvait bien exister une autre famille Em'lyn dans ce monde qui semblait devenir un peu plus fou chaque. Tentant de garder son sang-froid, à son tour, elle passa son regard bleuté sur l'entièreté de la salle. Chacun dévisageait son voisin de droite, puis celui de gauche, pour venir poser son regard sur celui en face, celui à droite, celui à gauche, encore plus à gauche, encore plus à droite. Isÿe en vint à la conclusion qu'il s'agissait bel et bien d'elle. Ravalant sa salive, la mâchoire serrée, elle se leva dignement et, sans même jeter un regard à l'homme, elle traversa la porte.

Cette nouvelle salle était identique à la précédente, hormis le fait que cette fois-ci, en son centre se trouvait un table et deux chaises. Isÿe entendit l'homme fermer le verrou derrière elle, elle fronça les sourcils. Tout cela ne lui annonçait rien de bon. Elle préféra rester sur ses gardes, car même si elle était privée de on arc et de ses couteaux, sa plus grande arme restait sa force physique et son aptitude au combat en corps-à-corps. Elle n'avait pas peur de ce "garde". L'homme se retourna et invita la jeune elfe à s'installer en face de lui, tout en posant le dossier qu'il tenait dans ses mains quelques secondes plus tôt sur la table. « Dame Em'lyn, veuillez nous excuser pour les méthodes peu élégantes employées par les gardes afin de vous mener ici. » Il s'assit et jeta à nouveau un œil au dossier. Isÿe ne répondit pas, se contentant de fixer plus intensément l'homme qui se trouvait en face d'elle. Cheveux bruns coupés courts parsemés de gel, forme du visage plutôt rectangulaire et regard émeraude. Plutôt charmant. Isÿe hocha la tête, restant impassible. L'homme poursuivit. « Vous savez que l'empire recherche activement les sangraves pour leur faire payer leurs crimes. Votre interrogatoire n'est qu'une formalité, bien évidemment. J'ai donc quelques à vous poser. Vous vous appelez Isÿe Em'lyn, vous avez dix-neuf ans et vous êtes née à Travia, de parents elfes. Vous êtes fille unique et vous avez rapidement intégré l'armée lancovienne, en tant que chasseuse. » Isÿe ne se laissa pas distraire par l'air monotone de l'homme assis en face d'elle ; il était sûr de lui, elle devait se montrer à la hauteur. « Exact. » Articula-t-elle d'une voix claire et ferme. Ne jamais se laisser impressionner. Soudain, il releva le regard et le plongea dans celui d'Isÿe. Elle ne baissa pas les yeux, trop fière pour cela. « De toute évidence, vous n'avez aucun liens avec les sangraves. N'est-ce pas ? » Isÿe leva un sourcil et dévisagea l'homme en costard en face d'elle. Un simple interrogatoire, il fallait qu'elle garde son sang-froid, aucun signe de faiblesse ou bien c'était les cachots omoisiens sur le champ, idée qui n'enchantait pas vraiment la belle. « Evidemment. » Elle marqua une courte pause, savourant d'avance l'intensité des paroles à suivre. « Il n'est pas dans l’intérêt d'un elfe de s'allier aux perdants. » Elle soutint son regard encore quelques secondes, restant silencieuse, la mâchoire serrée, avant de détourner les yeux, affichant un air purement ennuyée sur son visage. Oui, elle frôlait presque la provocation. « La prochaine fois, dites à vos hommes d'expliquer clairement la raison de leur visite. Ce n'est pas vraiment une manière d'accueillir une invitée que de l'endormir pour la faire taire. » Soupira la jeune elfe.