Je ne suis plus une enfant désormais. Je dois voler de mes propres ailes. Dis-sept ans d'enfance derrière moi. Finie l'elfe adolescente à l'esprit rempli de rêves, place à la vraie vie maintenant. Je me souviens de ma maison d'enfance, une résidence secondaire construite uniquement en bois dans un magnifique village au sud-est d'Ergo, aux bords de l'Océan Bleu. Les murs de ma chambre étaient peints en vert pomme, ma couleur préférée, aujourd'hui encore. Il y avait cette odeur indescriptible mais tellement agréable, à mi-chemin entre le parfum de l'herbe fraichement coupée et celui de la menthe. Lorsque le Lancovit accordait un peu de vacances à mes parents, notre seule et unique destination était cette vieille maison de campagne qui inspirait pour nous le bonheur, la joie, le paradis. Je me souviens des longues balades au bord de la plage avec mes deux parents. Mes parents amoureux. A l'époque où ils l'étaient encore. Je me souviens de mes amis aux longues oreilles semblables aux miennes. On rigolait bien, avant. Je me souviens aussi de ces nombreuses disputes que j'entendais, tard le soir, alors que j'étais censée dormir. Je me souviens de cette crise de larmes quand ils m'ont annoncé leur séparation. Je me souviens de leur visage froid, fermé, presque insensible à la détresse de leur unique fille. Après, j'ai arrêté de me souvenir.

every day i'm learning.
« Non, recommence. » Déclara Isÿe d'une voix ferme. Wëndy lui lança un regard perçant mais ne contesta pas l'ordre. Elle se redressa, réajusta la queue de cheval haute que formaient ses cheveux platines parsemées de mèches brunes, fit un demi-tour gracieux et se mit en position de combat. Nouveau regard à sa monitrice. Cela faisait déjà deux heures Autremondiennes qu'elle s'entrainait sans relâche sous le regard sans pitié d'Isÿe. Si les elfes pouvaient transpirer, elle en serait déjà à remplir son quatrième seau. Sans prononcer une parole, elle serra la mâchoire et effectua exactement le même mouvement que quelques instants auparavant. Un coup de pied retourné digne du plus grand maitre de Kung Fu de tous les temps. Le roi du Lancovit en personne aurait pu en rester sans voix devant cette précision et cette technique irréprochable. Un sourire malicieux se dessina sur les lèvres d'Isÿe. Même si cette petite l'agaçait au plus haut point, elle devait bien avouer qu'elle se débrouillait vraiment bien au combat au corps à corps. L'arc, c'était encore une autre affaire, et jamais elle ne pourrait devenir une aussi bonne archère qu'Isÿe. Elle hocha simplement de la tête et toisa Wëndy. Cela faisait déjà un an qu'elles s'entrainaient ensemble, sous la demande des parents de la petite qui espéraient bien que leur fille puisse un jour devenir une aussi bonne guerrière qu'Isÿe, et même si elle ne l'avouerait jamais, Isÿe devait bien avouer qu'elle aimait tout particulièrement ces moments avec Wëndy. Se sentir utile à quelqu'un. Elle savait qu'elle était dure et peut-être trop militaire avec la jeune adolescente de quinze ans qui avait parfaitement droit à sa liberté, mais au fond, elle l'aimait beaucoup et se retrouvait presque en elle : rebelle, jeune et fourbe. Elle planta son regard trop clair pour être naturel sur son élève. « Quinze pompes. Maintenant. » Wëndy soutint son regard et grinça des dents, exténuée. « Mais pour.. » « Vingt pompes. » La discussion était close. Si Wëndy contestait encore l'autorité d'Isÿe, et bien, elle allait seulement en payer le prix. Il fallait canaliser cette petite, c'était la première chose que ses parents avaient demandé à la guerrière de l'armée lancovienne lorsqu'ils lui avaient proposée ce marché. Et bien, Isÿe remplissait sa mission.

i love him.
Un banquet pour l'anniversaire de la reine était organisé ce soir là au château vivant de Travia. Isÿe était de partie, évidemment. Elle adorait la fête, c'était bien connue. Ce soir là, pour son plus grand bonheur, elle n'était ni en mission ni de garde, elle pouvait donc pleinement profiter du banquet sans se soucier de la protection d'un tel ou un tel. C'était presque lassant, à force. Aucune animation dans la vie d'elfe chasseuse. Besoin d'évacuer un peu les idées. Et une fête était l'occasion idéale. Isÿe était magnifique, ce soir là. Vêtue d'une robe moulante corail allant à ravir avec son teint légèrement basané et mettant parfaitement en valeur ses formes, elle rayonnait et attirait l'attention de nombreux messieurs sur son passage. Mais après tout, c'était presque l'effet recherché. Il fallait bien l'avouer, Isÿe aimait se faire désirer. Consciencieuse de son atout physique, elle en profitait pleinement pour attirer de nombreux hommes (elfes ou non) dans ses filets pour des aventures souvent très courtes.. Des talons de huit centimètres de haut trônaient à ses pieds et elle marchait avec une aisance et une grâce impressionnante. Démarche féline. Une tigresse. Bijoux en or comparable à celui qui ornait les pièces au palais d'Omois. Chignon travaillé avec de nombreuses mèches rebelles, un désordre ordonné. Du haut de ses dix-neuf ans, elle ne se ménageait pas en matière de style vestimentaire et beaucoup de jeunes filles de son âge la jalousaient. « Tu es magnifique ce soir. » Isÿe retint sa respiration et sursauta très légèrement. Il avait encore une fois réussi à la surprendre. Il y parvenait toujours de toute façon. Elle se retourna et lui fit face. L'air sembla soudain se réchauffer autour de la belle elfe. Son torse collé contre sa poitrine, elle le trouvait un peu trop proche d'elle. Gênée, elle s'éloigna d'un demi-pas, baissant le regard. « Tu n'es pas trop mal non plus Jules. » Déclara-t-elle en relevant les yeux. Il était le seul à la mettre dans cet état là. Il aurait était n'importe quel autre homme, elle ne se serait surement pas reculée. Au contraire. Mais là, c'était différent. Elle se sentit mal, d'un coup. Elle voulut se taper la tête contre un mur pour se punir. Elle n'avait pas le droit de se montrer aussi vulnérable en présence de Jules. Il allait finir par croire qu'il lui plaisait. L'elfe et le jeune Voleur encore en court d'apprentissage se connaissaient depuis de nombreuses années déjà. Depuis leur enfance, à vrai dire. Ils ne s'étaient jamais vraiment aimé, jamais vraiment détesté non plus. Disons qu'ils s'aimaient sans se le montrer. Depuis tout petit, une certaine compétition s'était installée entre eux. A celui qui sera le plus fort, qui réussira à impressionner le plus l'autre. En grandissant, cela avait pris une toute autre tournure. A celui qui chopera l'autre en premier, certainement. Jules était le seul homme qu'Isÿe ne désirait pas avoir. Ou du moins, pas de la même manière que tous les autres. Mais de toute façon, il était humain, elle était elfe. Trop différents.

Il fallait qu'elle se ressaisisse, vite. Adopter cette attitude joueuse et taquine, comme à chaque fois qu'elle était en présence du bel humain. Un sourire malicieux se dessina sur ses lèvres et elle planta son regard clair dans les beaux yeux du garçon. Il soutint son regard. « M'accorderais-tu cette danse? » Jules tendit sa main, comme pour inviter la demoiselle à le suivre. C'est sans hésiter qu'Isÿe y glissa ses longs doigts fins. Puis, gracieusement, elle le suivit jusqu'au centre de la pièce où une valse poursuivit.

all alone.
Les larmes montaient aux yeux de la jeune elfe. Pourtant, les elfes ne pleuraient qu'à de très rares occasion. Lors de chocs émotionnels trop importants. Certainement pas pour de la douleur physique. Comment sa propre mère pouvait-elle oser? Elle ne connaissait pas se garçon. Elle le jugeait. Isÿe était une jeune femme honnête et juste. Elle détestait les jugements. Encore moins provenant de sa propre mère. « Tu ne le connais pas! Tu n'as pas le droit de dire ça! » Hurla Isÿe en tapant son point contre la commode de la chambre de sa mère. Cette dernière l'avait appelée, quelques instants plus tôt. Elle avait vu sa fille danser une valse, la veille-même, en compagnie.. d'un humain! Quelle honte! Désormais, Mrs Em'lyn était vraiment énervée du comportement de sa fille. Elle la pensait si forte, si courageuse.. Voilà qu'elle tombait déjà dans les bras d'un jeune homme.. Et un humain! Elle s'attendait à mieux. « Mais enfin, sombre Scrogneupluf ! C'est un humain! Tu n'as pas le droit! » S'exclama-t-elle en faisant des gestes avec ses mains, hors d'elle. Cette fois-ci, c'en était trop pour Isÿe. Un torrent de larmes déferla sur ses joues. Se faire insulter par sa propre mère. Impardonnable. Elle avait déjà assez souffert à cause d'elle. « Je-ne-suis-pas-amoureuse-de-ce-garçon. Et ce n'est pas à toi de me dicter ce que je dois faire! » Sur ces purs mensonges, des perles salées roulant encore sur ses joues, elle sortit comme une furie de la chambre de sa mère en prenant bien soin de claquer la porte derrière elle. Adieu, mère, ne put-t-elle s'empêcher de penser.